Succédant généralement a des établissements monastiques plus
anciens, les églises moldaves a peintures murales extérieures datent du XVIe siécle,
plus exactement des années aprés 1530. C'est alors que plusieurs églises fondées par le
prince Pierre Rares (1527-1538; 1541-1546) et par les plus notables dignitaires du pays
reçurent, par ordre du prince, une éclatante parure de fresques extérieures.
Toujours est-il que pour un nombre d'églises du XVe siécle (Probota l'Ancienne, construite aprés 1465; Putna, 1469;
Saint-Nicolas de Radauti, 1481-1486; Saint-Jean de Vaslui, aprés 1490), il existe des
témoignages documentaires et archéologiques qui attestent la présence en Moldavie d'une
peinture extérieure dans le contexte d'un décor architectural. Une étude récente sur
l'évolution du décor architectural a identifié une certaine tendance simplificatrice
des façades, manifeste des aprés 1501, indice significatif de la préparation des
églises en vue des vastes déploiements iconographiques extérieurs. Que l'on considére
l'apparition de ces peintures extérieures dans le nord de la Moldavie comme la
conséquence d'une préalable évolution locale, ou bien en liaison avec des
manifestations semblables en Transylvanie, pays tout proche, en Hongrie, Autriche,
Slovénie, Suisse, ou encore comme l'expession d'une influence des églises grecques ou
serbes o? le Jugement Dernier ou l'Hymne Akathiste sont reptésentés a l'axtérieur,
force est de constater que ce phénoméne moldave qui se manifeste entre 1530 et 1552 sur
douze ensembles muraux extérieurs, avec leurs répliques, a Sucevita
de 1596 et a Saint-Elie de Suceava de 1643, représente un cas esthétique singulier
dans l'évolution intégrale de l'art postbyzantin.
Quatre facteurs définissent ce phénoméne:
- la création de nouveaux types architecturaux,
- l'existence d'une commande spéciale initiée et fortement
appuyée par le prince et le haut clergé
- l'élaboration de théme et d'un programme iconographique
originaux, avec des messages et une finalité explicites dément configurés sur le plan
sémantique et artistique, et finalement
- l'existence d'ateliers et d'artistes du pays capables de
satisfaire les exigences de haut niveau artistique des commettants.
Types de construction
Le prototype architectural de ces églises est élaboré en Moldavie au
long du XVe siécle, dans une ambiance culturelle marquée par l'influence de Byzance et de
la Serbie, lieux d' origine du plan triconque qu'on a adopté ici. La Moldavie se
distingue du modéle serbe par l'absence des pilastres en maçonnerie qui flanquent les
absides et soutiennent la tour du clocher sur la nef. Leur rôle est assumé par des arcs
boutants qui s'appuyent sur des consoles. La charge est ainsi assurée par des contreforts
selon le procédé gothique; de plus, les constructeurs moldaves innovent un systéme
original de réduction du diamétre des tours par l'entremise d'une suite d'arcs étagés
disposés de biais ou bien intersectés sur le méme plan lorsqu'ils ne soutiennent que les
coupoles. Ce systéme s'apparente des solutions constructives arméniennes et orientales.
Du point de vue du plan, les églises moldaves font preuve de
solutions originales avec l'introduction de la chambre des tombeaux entre la nef et le
nartex (cet emplacement ne variant jamais) et, dans certains cas tels Humor, Moldovita and Sucevita,
- superposée d'une piéce basse, recoin secret ou simple sacristie. Cette tendance de
développement du plan en longueur propre cette architecture est confirmée aussi
par la présence du côté ouest de l'église de l'esonarthex (Moldovita l'Ancienne;
Neamt, 1497; Saint-Georges-Suceava; Probota) ou de l'exonarthex (Bailesti, 1493; Parhauti,
1522; Humor, 1530; Baia, 1532; Moldovita, 1532), lesquels diversifient les solutions
architecturales pour satisfaire plusieurs fonctions: clocher l'étage, extension de
l'espace funéraire, lieu o se tiennent les pénitents, espace de protection de l'entrée
et de libre communication entre l'extérieur et l'intérieur. Toute une série
d'éléments constructifs ou décoratifs du style gothique (contreforts, calottes sur nervures, portails et encadrements de fenétres empruntés a
l'architecture civile), souvent signés des marques des tâcherons identifiés sur les
chantiers de la Transylvanie soulignent le caractére d'originalité de cette architecture
de synthése entre la tradition constructive byzantine et gothique. La silhouette
générale des édifices, fortement individualisée par les lignes brisées ascendantes
des toits aux articulations multiples, contribue de maniére décisive la définition de
l'aspect spécifique et original de cette architecture.
Donateurs et fondateurs
Le plus important donateurs de peintures extérieures moldaves fut,
en premier lieu, le prince Rares. Pierre Rares, fils naturel d'Etienne le Grand et Saint
(1457-1504, le plus illustre des princes roumains, sanctifié pour ses mérites dans la
lutte menée pour défendre le christianisme et l'orthodoxie), Pierre Rares, fut élu au
trône de la Moldavie par les nobles du pays aprés le décés du dernier successeur en
ligne droite du grand voévode. Il ne s'est donc pas borné de suivre l'exemple paternel en
tant que fondateur d'établissements religieux a légitimant de la sorte sa qualité de
prince tant vis-a-vis du pays que par raport a la Porte, la Hongrie et la Pologne a, mais
encore a assumer le rôle de protecteur de l'orthodoxie, qualités que justifiaient son
mariage avec la descendante des Brancovic serbes ainsi que ses propres prétentions a
l'indépendance. Aussi, fut-il un indéfectible soutien de l'orthodoxie (adversaire
acharné de la Réforme dont l'influence se faisait sentir a son époque en Moldavie
également). Pierre Rares fait figure de prince renaissant par son attitude de protecteur
des arts et de seigneur moderne: Il était fondateur de Probota, associé a la fondation
de Humor, fondateur aussi de Moldovita, Baia, Saint-Démétre (Suceava) et donateur des
peintures extérieures de Saint-Georges (Suceava), Patrauti et Hârlau (1530) a celles-ci
disparues a la suite de la restauration du siécle passé a, donateur de la peinture
intérieure de Dobrovat et de nombreuses autres églises (Hârlau, Roman, Botosani a ici,
par l'entremise de son épouse, la princesse Héléne a, Tg. Frumos et Vaslui, dont les
peintures ne se sont pas gardées.
Deux grands hiérarques l'ont soutenu dans cette
activité: le métropolite Grégoire Rosca, son cousin, qui l'inspira pour refaire
Probota, lui-méme donateur du narthex et de l'ensemble mural de Voronet,
et l'éveque Macarie de Roman, un homme de grande profondeur d'esprit et d'une solide
instruction théologique, initiateur des programmes iconographiques de Dobrovat, Râsca,
Hârlau, Neamt (dans le narthex et l'exonarthex), Bistrita (le paraekkleésion
Saint-Jean-le-Nouveau).
On peut affirmer que l'augmentation de la menace ottomane et les
pressions exercées par la Réforme constituaient des préoccupations permanentes.
L'initiative personnelle du prince conjuguée a l'esthétisme raffiné d'une société de
cour et comptant sur le rôle moralisateur et salutaire de l'art sacré, ainsi que
l'ambiance d'une vie hésychaste dans les monastéres moldaves ont engendré cette ouvre
d'art unique qu'est la peinture extérieure des églises du nord de la Moldavie qui
incarne de maniére visible et immédiate ce sens de la transespérance cosmique de
l'Églse et qui nous permet par ce "ciboires" peints de contempler a conformément a Saint
Maxime a l'étre immatériel de l'Église Triomphante, céleste, corps infini du Christ
dont les membres sont tous ensemble les martyrs, les Péres de l'Église, les Saints et
tous les fidéles de l'Église Militante, terrestre, qui vivent de Lui et en Lui.
Programme iconographique
Tous les spécialistes ayant commenté les peintures extérieurs
moldaves sont d'acord qu'il y a des thémes dont les rédactions ne se trouvent qu'ici et
qu'on y constate un réel penchant a les reprendre en maints ensembles muraux. C'est le cas de la Genése, la Création, la Chute d'Adam,
l'Expulsion du Paradis et, notamment, le Contrat d'Adam-représentation unique de son
pacte avec le Démon aux termes duquel Adam reconnaît et signe sur un chirographe la
damnation de sa postérité; ce théme apparaît a Moldovita sur les piliers de
l'exonarthex ouest (douze scénes), a Arbore du côté ouest (sept scénes), a Voronet du
côté nord (un cycle de quatorze scénes) et a Sucevita du côté nord également
(dix-huit scénes). Ils'agit d'une légende, devenue croyance populaire, dont la
représentation picturale suit de prés un texte de source bogomile largement répandu a
l'époque, d'ailleur copié au XVIe siécle et que Rares lui-méme devait connaître
puisqu'il en fait l'exemple des méfaits du Malin et des dangers qui guettent l'humanité
quand elle se fie a la libre pensée ou a une mauvaise direction spiritualle. Un autre
théme a rédigé comme nulle part ailleurs a est celui des "Etapes célestes" a ou des
"Douanes célestes" pour traduire littéralement l'appellation roumaine a, encore une
légende devenue croyance populaire, découlant de la Vie de Saint Basile le Nouveau,
répandue a l'époque par un manuscrit moldave du XVIe siécle (ms. 133 de la Bibl. Acad.
Roum.). Visible jusqu'a ce jour dans toute les ensembles demeurés entiers (Probota,
Humor, Moldovita, Arbore, Voronet) ce théme est généralement illustré vers le côté
nord dans le voisinage du Jugement Dernier auquel s'apparente du point de vue symbolique.
Quant au Cycle de la Vie de Saint Jean le Nouveau (Saint-Georges-Suceava, Voronet,
Sucevita), il constitue un théme national répondant a la profonde dévotion vouée a ce
saint depuis le XVe siécle lorsque ses reliques ont été apportées a Suceava. Depuis,
Jean le Nouveau est le patron de la Moldavie, vénéré en tant que tel.
Mais les thémes principaux de la peinture extérieure occupent de
trés vastes surfaces. Ce sont : la "Prière de tous les Saints" ou la "Grande Prière" a
considérée par certains auteurs comme hypostase de l' Église Triomphante a laquelle
participe la procession des chérubins, séraphins, prophétes, saints péres de l'Église,
martyrs et ermites représentés sur les murs des absides avançant solennellement vers l'hiératium
de l'axe est qui figure le dogme du Verbe Incarné; l'"Hymne Akathiste" illustré en
vingt-quatre strophes avec l'ajout du "Siége de Constantinople" a évocation de
l'intervention salutaire de la Vierge en 626 au temps du siége des Perses sur Byzance et
qui acquiert ici une connotation anti-ottomane, de circonstance a l'époque a ainsi que de
la Priére de Moîse et du Buisson ardent, symbole de la virginité de Marie. Ce théme
apparaît a Probota sur la façade sud, comme a Humor, Moldovita, Saint-Georges et
Saint-Démétre (les deux a Suceava), Baia, joint d'impressionnantes représentation du
"Siége constantinopolitain" (assimilé ainsi que nous venons de le dire a l'événement de
1453), enfin a Arbore (1541) on le peintre a méme noté scrupuleusement la date de 626, la
composition illustrant l'épisode dans un style miniaturé, remarquable par la facture de
l'exécution et la foule des personnages représentés.
Sans exception, l'Arbre de Jessé est joint aux strophes de
l'Akathiste qui proclament l'Annonciation, tout comme dans l'ordre liturgique l'invocation
des Ancetres du Christ précéde la fete de sa nativité. La rédaction picturale
développée sur sept registres a et comprenant au large la généalogie de Jésus et les
circonstances miraculeuses de l'Annonciation ainsi que de la Nativité et de l'Immolation
a prouve l'importance toute spéciale accordée a l'Arbre de Jessé qui évoque le lien
intime entre l'Ancien et le Nouveau Testament mais aussi l'idée de l'ascendance humaine
et royale du Sauveur. Les Sages de l'Antiquité, peints au nombre de dix, douze ou m?me
quatorze, a Saint-Georges-Suceava, Moldovi?a, Baia, Vorone?, et Sucevi?a ont pour sens
d'illustrer le témoignage profane du myst?re de l'Incarnation, témoignage de comme on
sait, a la lecture "en clé chrétienne" de la pensée antique par la scholastique
médiévale.
Enfin, tel un corollaire des
principaux grands thémes, le Jugement Dernier est, en Moldavie, d'un intérét tout-a-fait
spécial non seulement par sa signification eschatologique et fortement moralisatrice,
mais aussi par son traitement iconographique particulier. A Probota, Humor, Moldovita, et
Patrauti, le théme s'inspire du protomodéle institué dans le "Parisinius 74" a connu en
Moldavie par l'intermédiaire du Tétraévangile d'Ivan-Alexandre, une ouvre de facture
constantinopolitaine du XIVe siécle a et d'aure part, des icônes russes et ruth?nes du
XVe on apparaît le motif de l'appel au Jugement Dernier (Arméniens, Latins, Juifs,
Turcs, Tatares). A Voronet néanmoins, le Jugement Dernier produit une impression
extraordinaire sur celui qui le contemple. Ici, comme s Saint-Georges de Suceava par
ailleurs, la composition bénéficie de l'entiére façade ouest de l'église qui,
délibérément, est compacte, sans vides des fen?tres nécessaires pour éclairer
l'esonarthex.
Le regard est d'abord absorbé par les raies de feu et de lumiére projetées
par le vétement d'un blanc immaculé de Dieu le Pére vers lequel conduit l'Hétimasie. Ce
n'est qu'en suivant ce geste que peu a peu le regard découvre le reste de la composition:
les nombreuses cohortes des élus, la muraille d'or du Paradis, le jardin d'Abraham et, a
gauche, le fleuve des damnés, les troupes des Gentils, envoyés a consumer leir peine
éternele, la résurrection des morts que restituent les tombes, la mer et les fauves, les
anges déployant des cieux nouveaux, les clairons qui annoncent l'avénement du Jour sans
fin, radieux mais sévére, séparant rigoureusement les ténébres de la lumiére, le bien
de mal. Les peintres sans égal de Voronet ont représenté tout cela en détail, par un
art minutieux, décrivant la particularité de chaque personnage de cet ensenble
monumental soumis a la vision théologique en raison de laquelle l'iconographe a établi
au lieu dé le moindre elément de la composition générale. Celle-ci posséde la
transparence et la vigueur des grands symboles, le coloris a de l'éclat.
A ces thémes majeurs s'ajoutent les cycles des vies des Saints
Georges et Nicolas ainsi que des Péres du monachisme orthodoxe a Antoine, Gérasimos,
Pacôme; plus rarement apparaissent aussi des scénes inspirées des Actes des Apôtres (
Humor, Voronet a façade nord) ou bien de la vie de la Vierge (Humor a façade nord). A
Probota, Saint-Georges-Suceava, Humor, Arbore et Voronet la parabole de l'Enfant Prodigue
prend le sens d'un memento réconfortant. Cette parabole, incluse dans la "Grande Priére
de tous les Saints" se trouve dans le voisinage immédiat de l'Hymne Akathiste ou de
l'Arbre de Jessé. Il s'agit d'un nouvel appel a l'effort eschatologique personnel, en
méme temps qu'a la préparation spirituelle de l'individu comme de tous les fidéles pour
la célébration de la Saint Liturgie. C'est d'ailleurs en identifiant des liens précis
entre les thémes illustrés et la calendrier liturgique, que M. Taylor proposait justement
comme possible sens de la peinture extérieure cette préparation de l'Église elle-meme a
en tant que corps du Christ a au mystére de la transsubstantiation qu'illustre la
composition peinte dans l'axe de l'abside du sanctuaire. Toujours est-il que l'Incarnation
du Verbe et le Sacrifice du Christ sont des symboles permanents dans la peinture
extérieure du sanctuaire et repris, parfois, sur les clés des arcs des exonarthex,
autant d'espaces privilégiés de la rencontre de deux horizons.
Le genre de typologie adopté pour les ensembles muraux de
la Moldavie du nord prouve que leurs créateurs étaient des artistes autochtones formés
a l'école de peinture inaugurée avec l'art aulique de Gabriel Uric, mais aussi acelle
aux larges horizons byzantins du bojard Toma de Suceava a un dignitaire souvent chargé
par le régne de missions diplomatique a l'étranger et principal peintre de Humor et
Moldovita a ou encorea celle de Dragos Coman, un peintre plein de raffinement qui a su
conjuguer a Arbore l'élégance du gothique international avec les lumineuses sonorités
chromatique de la Renaissance puisées a l'art vénéto-crétois des artistes dalmates.
Ainsi, les église moldaves de peintures extérieures proposées d'
etre incluses dans la Liste du Patrimoine Mondial seraient: Saint-Nicolas du
monastére de Probota, la Dormition-de-la-Vierge du monastére du
Humor, l'Annonciation du monastére de Moldovita, Saint-Georges
de Suceava, la Sainte-Croix de Patrauti, Saint-Georges du
monastére de Voronet et la Décollation de Saint-Jean-Baptiste de
Arbore. Elles illustrent avec un summum d'authenticité, par leurs architecture et
peintures intérieures et extérieures, ce que l'on a appelé l'époque d'or de la
peinture moldave et, selon l'expression de Paul Henry, a l'ultime renaissance de l'art
byzantine. Tout-a-la-fois, ces églises représentent des trésors unique d'art médiéval
avec leurs icônes, broderies, meubles, pièces d'orfévrerie et leurs menuscrits qu'elle
conservent depuis des siècles.
Cette article est reproduit aprés
Doina Mândru, Les églises a peinture murale extérieure du nord de la Moldavie,
dans "Denkmäler in Rumänien/Monuments en Roumanie", ICOMOS- Cahiers du Comité
National Allemand, XIV, 1995, pg. 81-92.
Traduction: Doina Anca Cornaciu; Introduction du text: Bodgan Toader
Web Dessin: Calin Gligorea
Publication Électronique: CIMEC,
Bucharest, Mar. 1997.
Actualisation: 7 Avril 2000.
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