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L'ÉGLISE DES TROI-HIERARQUES

de AURELIAN TRISCU

Vue de l'église

Gravée en pierre sur la façade méridionale de l'église des Trois-Hiérarques, l'inscription votive nous laisse lire: '...j'ai bâti ce sanctuaire au nom des trois saints Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Jean Chrysostome et c'est l'archevèque Barlaam qui l'a consacré en 7147 (1639) au mois de mai, le 6...'. D'emblée, le vocable situe l'édifice dans un monde qui fut celui des Saints Pères de l'Eglise, défenseur des dogmes nicéens, nimbés de l'aura de la connaissance et renommés pour leur zèle rayonnant. Si, alors, dans ce tourmenté IVe si?cle chrétien, les trois théologiens lutt?rent pour sauver l'unité de l'église, voici que les bâtiseurs du sanctuaire qui porte leurs noms ont réussi douze si?cles et demi plus tard ? fondre les nombreuses influences de mondes distincts en un seul monument, lié structuralement ? la tradition du lieu. L'espace ecclésial ainsi constitué s'est acquis une place de choix dans l'agglomération médiévale,dans l'art roumain, dans l'histoire du peuple, du pays et de l'Eglise orthodoxe. Il parvient ? illustrer une période historique significative, de confluences bénéfiques, et représente l'esprit créateur d'une société par sa réalisation artistique unique.

Le fondateur de ce monument singulier est le pieux prince de Moldavie Vasile Lupu, une des figures les plus importantes de l'histoire roumaine, défenseur reconu de l'Eglise d'Orient. Pendant les premi?res années de son régne, quand le Patriarcat de Constantinople se trouvait dans une situation critique - écrasé de dettes, dominé par les intrigues et en proie aux troubles -, Vasile Lupu intervient et s'efforce de rétablir les choses, tout comme plus tard il va acquitter les dettes du Saint Sépulcre et des monastéres du Mont Athos et fera de nombreuses donations comme initiateur d'?vres de culte et de charité chrétiennes-orthodoxes en Pologne, Bulgarie et Gr?ce.

Remarquable témoignage de la magnificence de ce prince, l'église des Trois-Hiérarques se dresse, au c?ur de la ville de Iaºi, entourée comme elle le fut d?s le commencement des églises Saint-Nicolas, Saint-Sabbas, Golia et Barnovski, auxquelles sont venus successivement s'ajouter d'autrs monuments religieux et la?cs, attirés - dirait-on - par le centre traditionnel, par l'endroit que l'histoire a anobli.

Impressionnant, bien fait pour 'saisir d'étonnement' l'esprit des contemporains, l'édifice répond ? la volonté de faste de son fondateur dont Nicolae Iorga dit qu' 'au lendemain m?me du jour o? il monte sur le trône, il prend le nom de Basile et pén?tre dans le r?ve byzantin'. Et, de fait, l'église des Trois-Hiérarques refl?te l'aspiration vers ce monde merveilleux de Byzance, en liant structures et formes traditionnelles avec des matériaux précieux et une parure impériale.

Comme il résulte également de l'étude faite par G. Bals, le monument présente dans ses grandes lignes le plan des églises moldaves du XVIe si?cle - un triconque influencé par l'eglise de Galata avec, toutefois, l'ajout d'un clocher supplémentaire sur le narthex. La vo?te, elle aussi conforme au syst?me ingénieux moldave de vo?tes, comprend deux registres superposés ? quatre et respectivement huit arcs en plein cintre disposés de biais et qui, avec les pendentifs successifs, parviennent ? réduire le diam?tre du clocher. A l'extérieur, sur la façades, une ordonnance générale d'éléments décoratifs rappelle l'église du monast?re de Dragomirna (Moldavie 1606-1609) et l'habituelle division du parement par une ceinture propre aux églises de Munténie.

Plan Plan et coupe de l'église Coupe

L'influence du gothique transylvain est visible en maintes endroits: contreforts, remplages des fen?tres, profils des portails et des encadrements avec baguettes et des arcs en accolade.

Facade latérale (detalii) 'Ce qui imprime cependent ? tout l'édifice un caract?re particulier et le range parmi les plus originales créations de l'art moldave, c'est le contraste harmonieux entre les formes architecturales bien précisées et proportionnées, et le décor sculpté qui rev?t comme une dentelle toute la surface des murs des quatre façades, y compris les contreforts et les archivoltes sur les côtés et ? la base des clochers'. Les ornements sont des plus variés: niches profondes aux arcades fasciculées selon des mod?les orientaux, colonnettes commes pour les églises russes, vases persans d'o? se dressent des rameaux fleuris, motifs géométriques dont les prototypes sont ? trouver en Géorgie et Arménie, ceinture divisant le parement comme une corde tordue et bordée par deux bandes de marbre décorées dans le style de la Renaissance ou du Baroque occidental. Tout cela s'agence en une unité fortement particuli?re que la lumiére semble rendre vibrante. 'De plus, soulignée par une coloration au lapis-lazuli rehaussée de dorure, cette décoration' contribue pleinement ? la celébrité que l'église des Trois-Hiérarques acquit d?s sa construction. Paul d'Alep, l'archidiacre d'Antioche qui accompagna le patriarche Macarie dans les voyage de celui-ci ? travers les Principautés roumaines, au XVIe si?cle, apr?s avoir soigneusement examiné l'édifice exprime tout son enthousiasme dans son livre "Les voyages" écrit en arabe et publié ? Bucarest en 1900 en traduction roumaine.

Autour de l'église - o?, d?s juillet 1641, furent placées les reliques de Sainte Parasc?ve, envoyées par le patriarche et le synode de Constantinople en guise de reconnaissance pour les actions et les dons généreux du prince Vasile Lupu - a pris naissance un monast?re dont il ne reste plus aujord'hui que le bâtiment avec la salle gothique, l'ancienne 'Schola Basiliana', témoignage de la richesse de la vie culturelle de cette époque. L'imprimerie qui y fut établie, dont la presse typographique était arrivée de Kiev grâce ? l'aide du métropolite Pierre Movila, fut dirigées par l'higoum?ne du monast?re et directeur de l'école nouvellement instituée, le moine Sophonie. C'est ici que parut en 1642 le premier ouvrage moldave imprimé (en grec) et, l'anée suivante, le cél?bre Livre de Sermons (Cazania) du métropolite Barlaam.

Sans plus jamais trouver sa pareille, la principale fondation de Vasile Lupu a inspiré toute fois la construction et la décoration de l'église du grand ensemble architectural du monast?re de Cetãþuia(1669-1672) ? proximité immédiate de Iaºi ainsi que la reconstruction de l'église conventuelle de Putna.

A l'occasion de la restauration due ? Lecomte du Noüy dans les années 1882-1890, l'église des Trois-Hiérarques a perdu ce qui restait de la peinture intérieure originale. Certaines interventions controversées ont alors marqué une étape caractéristique dans le processus de restauration en Roumanie, animée par des actions et des débats publics, par une lutte d'opinions entre les intellectuels de l'époque et les milieux officiels qui ont finalement conduit ? l'affirmation de quelque principes corrects de protection et de restauration des monuments historiques.

En janvier 1993, les travaux du symposium déroulé ? Iaºi sous l'égide de la Commission Nationale de Roumanie pour l'UNESCO, la Mairie de la Ville de Iaºi, le Conseil départemental et la Métropole de Moldavie et Bucovine ont fait ressortir les résultats des nombreuses études spécialisées concernant l'état et les exigences de la construction aussi bien que l'intér?t manifesté par les autorités pour la conservation et la mise en valeur de l'édifice.

Aujourd'hui, l'église des Trois-Hiérarques compte plus de 350 années. Elle représente un monument ? ne pas confondre, qui garde toute la vigueur de la tradition. La patine mate qui estompe actuellement l'éclat de sa décoration d'autrefois lui pr?te ainsi la sobriété de l'âge. La ligne svelte de sa silhouette et ses ornements disposés en rangées horizontales animent l'église enti?re.Si, comme Anton Dumitriu le rappelle dans son "Livre des rencontres admirables" (Cartea întîlnirilor admirabile), Pa?deuma signifie en grec 'ce qui est cultivé', mais signifie également 'le lieu o? l'on apprend', ' le lieu o? se passe quelque chose', alors un tel lieu est bien celui des Trois-Hiérarques de Iaºi parce qu'il atteste pleinement ? quel point peuvent se combiner et coexister des influences provenant de cultures aussi variées ? condition qu'elles trouvent une parfaite compréhension, dans une ambiance de f?te,aupr?s d'une hôtesse accueillante.


Cette article est reproduit apr?s:
Aurelian Triºcu, L'Église des Trois-Hiérarques ? Iaºi, dans "Denkmäler in Rumänien/Monuments en Roumanie", ICOMOS- Cahiers du Comité National Allemand, XIV, 1995, pg. 93-97
Traduction: Doina Anca Cornaciu; Introduction du text: Bodgan Toader;
Web Dessin: Cãlin Gligorea
Publication Électronique: CIMEC, Bucharest, jan. 1997.