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Citation: Lucien-Jean Bord, Cinquantenaire de la découverte des Manuscrits de la Mer Morte - Proposition de lecture structurelle des versets centraux du traitè des deux esprit de Qumrân (1 qs, 4, 20-21), Living Past, 1, 1999, URL: http://www.cimec.ro/livingpast/nr1/bord/manuscrits.htm |
3. Le texte
En préalable à toute recherche, il convient de donner le texte, tout au moins sa translittération dans laquelle nous indiquons en
caractères gras le passage intéressé (#1):
mrgd mpt nhrsh w'z yb'rr'l b'mhw kwl mgy gbr wzqq lw mbny 'y lhtm kwl rwh gwlh mtkmw bsrw wlthrw brwh qdw mkwl glylwt rgh wyz glyw rwh 'mt kmy ndh mkwl twgbwtqr whtgll. Notons cependant que purifier n'est pas le sens premier de brr et même que ce sens, au mode actif, ne se rencontre qu'une fois dans la Bible (Jr 4, 11) (#3), de fait, le sens premier de brr est " "enlever, choisir " et il se rencontre en Qo 3, 18 dans le sens de " mettre à l'épreuve " (#4). Nous maintenons ici le sens purifier tout en indiquant qu'il convient de tenir compte des nuances de cette purification qui ont leur importance, vu l'usage d'autres verbes pour les diverses mentions de la " purification " dans ces deux lignes. Les deux mots suivants 'l b'mtw ne posent guère de problème et il est évident que ce qui se traduit littéralement par Dieu dans sa vérité a le sens de Dieu, par sa vérité. Par contre, ce qui vient après mérite que l'on s'y arrête un peu. Nous lisons kwl mgy et si mgh signifie uvre dans le sens activité, action, ce mot se rencontre également pour mauvaise action (Mi 6,6), tout en renvoyant à l'idée d'uvre de la création, sens dans lequel il est utilisé en Ps 103, 22 (#5). Il est également important de savoir qu'en Is 60, 21 mgh désigne spécifiquement Israël en tant qu' uvre de Dieu. Or, en suivant la construction de la phrase du traité, nous voyons que ces uvres, qualifiées de toutes, sont inscrites entre la vérité de Dieu (#6) et le mot gbr qui doit ici être traduit par homme en indiquant la nuance viril, homme fort, comme opposé à la femme et à l'enfant (#7). il y a une nette opposition entre la vérité de Dieu et les uvres des hommes, dans un schème dualiste, dès le début des deux lignes, et une allusion au sens de mgh en rapport avec l'idolâtrie, comme en Jr 25, 6 ou 44, 8 n'est pas à écarter. Nous passons ensuite au second membre de la phrase commençant par le verbe zqq au pi'el (prêt. 3e pers.) qui, sous cette forme, est un hapax biblique et ne se rencontre qu'en Mal 3,3 où il a le sens de " affiner l'or ". Dans ses autres occurrences, il ne se trouve, avec cette idée d'affinage de l'or, qu'au mode passif (1 Ch 28, 18) ou au kal imparfait (Jb 28, 1). Il est intéressant de rapprocher zqq de brr avec la nuance de mettre à l'épreuve (faire l'épreuve d'un métal) que nous avons signalée ci-dessus (#8). Notons en tout cas que nous trouvons, dès le début de la ligne 20, deux fois l'idée de purification, à chaque fois exprimée par un verbe différent. Ici, zqq est suivi de la locution lw désignant dans le cas présent les auteurs des 9Cuvres qui seront purifiées, c'est à dire chacun. C'est alors que nous nous heurtons à la principale difficulté de traduction de ces lignes. Nous lisons mbnyn'y. Faut-il y voir, avec Lohse (#9), l'expression hébraïque fort classique " auprès des fils d'homme ", ou doit-on suivre l'interprétation proposée par André Dupont-Sommer (#10) qui comprend bny comme l'aramaïsme bnyn, bâtiment (#11) et 'y dans le sens de chacun (#12)? Le problème est loin d'être simple et ne peut être résolu qu'en fonction de l'usage contextuel de mbny 'y. Nous avons déjà relevé en effet la présence du mot gbr et il est indéniable que mbny 'y sont les deux derniers mots d'une phrase articulée en deux membres dont le premier contient justement gbr ; ne serions-nous pas en présence d'une construction parallèle usant d'une redondance " homme viril -- fils d'homme ", classique dans les écrits bibliques (#13) et rabbiniques ? La construction des deux membres de la phrase présente en outre un parallélisme, avec des verbes synonymes, qui renforce cette idée. On ne peut cependant négliger la traduction qui lit le pluriel de bnyn mais il convient de reconnaître que la présence d'un aramaïsme aussi flagrant dans un passage qui n'en compte guère pose un problème quant à la composition du texte. Confronté à cette même difficulté, Wernberg-Møller (#14) rapproche ce passage de Mal 3,3 et en induit que la purification concerne les fils de Levi dont l'énoncé serait remplacé par bny 'y tout comme dans l'usage que 1QS 3, 11 fait de Nb 25, 15 en remplaçant khnt par yhd. Il convient de considérer cette proposition avec une grande attention car, ainsi que nous le verrons, la dernière occurrence de la purification, dans les lignes qui nous intéressent, revêt la forme ndh qui renvoie implicitement au temple de Jérusalem et à ses desservants. Un élément supplémentaire peut nous être fourni par le verbe zqq dont l'objet est évidemment bny 'y (#15) (et non pas lw ainsi que l'avance Brownlee (#16), verbe assez rare pour permettre de rechercher s'il peut ou non s'appliquer à un bâtiment. Or on s'aperçoit que zqq n'est jamais utilisé dans le sens de purifier un bâtiment ; lorsqu'il s'agit d'une construction, on utilise thr (#17) qui concerne également les purifications rituelles et se rencontre dans ce dernier sens plus avant dans notre citation. On pourrait objecter que nous utilisons exclusivement des occurrences bibliques alors que nous étudions un texte non biblique, mais la lecture des textes qumraniens fait apparaître un très fréquent usage de thr dans toutes ses acceptions de pureté (humaine et matérielle) tandis que zqq, plus rare, ne concerne jamais la purification d'un bâtiment (#18). De leur côté, Carmignac et Guilbert (#19) optent pour une traduction " le corps de l'homme " qui est fort intéressante et appuie l'interprétation " anthropique " du mot 'y. Nous optons donc définitivement pour la solution fils d'homme d'autant plus que la suite du texte la confirme. Poursuivons donc notre lecture; nous trouvons lhtm kwl rwh gwlh mtkmw bsrw qui ne présente guère de difficulté quant à son sens général : pour faire cesser tout esprit d'injustice de ses membres humains. Avant de relever quelques particularités lexicographiques, empressons-nous de noter que cette phrase complète bien mieux la lecture fils d'homme, expression à laquelle se rapportent alors les membres humains, plutôt que la lecture édifice qui nécessite alors une interprétation très allégorisante. Ceci posé, nous remarquons d'emblée le verbe tmm (htm, inf. abs.) qui signifie terminer, finir avec une idée d'achèvement et même de parachèvement (#20). En Is 33, 1 et en 2S 20, 18, ce verbe, sous la même forme que dans le passage du traité des deux esprits, a le sens de terminer, faire cesser définitivement. Ce qui doit être ainsi éradiqué, c'est l'esprit d'injustice. Inutile de revenir ici sur la richesse du mot rwh, mais voyons plutôt le qualificatif de cet "esprit". Nous lisons gwlh, mot qui signifie à la fois méchanceté, crime et injustice et provient de la racine gwl qui désigne la perversion (#21). Il ne s'agit pas uniquement d'une injustice commise ponctuellement mais bien d'un esprit perverti, c'est à dire s'opposant à cette droiture de la vérité, à l'esprit de vérité. Cet esprit doit cesser, il doit être extirpé des membres humains, la précision bsr est intéressante car elle désigne non seulement ce qui est " humain " mais également ce qui est " charnel " et même ce qui est relatif à un cadavre (Cf. Gn 40, 19). Le mot sert également à indiquer l'être humain dans son entièreté physique (#22). Nous passons ensuite à la dernière phrase de notre sous-ensemble, également construite en deux membres dont nous verrons l'articulation propre par la suite. En premier lieu, nous trouvons une nouvelle expression de la purification sous la forme du verbe thr (thrw, pi'el inf.) qui désigne spécifiquement une purification rituelle, qu'elle soit appliquée à un être ou à un objet (#23). Ce verbe est l'un des plus usités dans les écrits qumraniens pour traiter de la pureté et de la purification (#24) et renferme un contenu cultuel certain. Cette purification concerne de nouveau, comme à la ligne précédente, des actions mauvaises, mais cette fois nous lisons glylwt rgh. Le mot glylwh désigne une action, indifféremment bonne ou mauvaise, et nécessite donc la précision rgh qui doit non seulement être comprise comme mauvaise mais également comme méchante avec en plus une forte notion d'impiété (#25). Le second membre de la phrase attire notre attention par deux particularités complémentaires de son vocabulaire ; la suite de six mots qui le compose et qui ne présente guère de difficulté de traduction ou d'interprétation, commence par wyz et finit par ndh, soit le verbe nzh (kal fut. " 3e sing. masc.) qui a ici le sens de " faire gicler " et concerne le geste rituel de la purification tel qu'il est décrit en Lv 4, 6 ; 14, 16 ; Nb 8, 7 (#26) et ndh qui, en association avec my, comme c'est le cas ici, a le sens exclusif de " eaux de purification " (Ex 19, 9). Le contexte cultuel de ces deux mots est indéniable mais il convient de préciser que ndh n'a le sens de purification qu'avec my et dans un contexte précis (#27) ; le mot seul désigne principalement la menstruation et est donc synonyme de souillure, d'impureté (#28). On est en droit de se demander pourquoi le ou les auteurs de ce texte utilisent un mot aussi particulier et qui pourrait même prêter à confusion ? Pour comprendre cela il convient de se remémorer ce qui est dit, dans d'autres documents qumraniens, à propos des desservants du Temple de Jérusalem ; nous lisons en effet : " Ils ont profané le Temple parce qu'ils n'ont pas observé la séparation (entre le pur et l'impur) en respectant la Loi, mais il sont couchés avec une femme qui voit le sang de sa menstruation. " (CD 5, 6-7). Par ailleurs, en 1 QS 4, 5, ndh désigne la souillure des idoles et en 1 QS 4, 10 on retrouve le même mot pour dénoncer l'immoralité sexuelle. En renvoyant à ce que nous avons relevé lors de l'étude de l'expression bny 'y (Cf. supra), nous trouvons ici une nouvelle confirmation de la thèse de Wernberg-Møller et de notre propre traduction. Dans la dernière phrase, nous rencontrons l'expression " esprit de vérité " (rwh 'mt) et nous voyons que cet esprit est mis en étroite relation avec une purification de type rituel dont le substrat d'impureté sexuelle, même pris métaphoriquement, ne doit pas être négligé, non seulement pour l'intelligence de notre texte mais également pour sa situation dans les écrits qumraniens et il nous semble que le rapprochement entre my ndh et l'usage de ndh dans CD 5, 6-7 est particulièrement éclairant quant au dualisme antinomique entre la communauté et le Temple. Les quatre occurrences de la purification que nous avons pu rencontrer dans ces deux versets n'interviennent pas au hasard mais sont soigneusement réparties pour structurer en lui-même ce court texte. Pour le moment, contentons-nous de rappeler que ces quatre occurrences empruntent chacune une forme différente : brr (purifier dans le sens de enlever), zqq (purifier avec l'idée d'éprouver), thr (purifier rituellement) et enfin my ndh (eaux de purification) ; nous remarquons enfin qu'entre les deux phrases qui contiennent chacune deux expressions de la purification, il y a une phrase d'un seul membre qui ne contient aucune mention directe de purification mais où nous pouvons lire le verbe tmm (faire cesser). Avant de voir comment ces différents mots et ensembles se positionnent et s'articulent entre eux, il nous reste à proposer une traduction littérale du texte qui nous servira de base pour notre tentative de structuration de ces deux lignes : 20- ... et alors il purifiera Dieu par sa vérité toute action homme et il purifiera comme or pour lui après fils d'homme pour faire cesser tout esprit injustice de ses membres 21- humains et pour purifier rituellement lui dans esprit saint de toutes actions mauvaises et il fera gicler vers lui esprit de vérité comme eau de purification ... |
(1) Il existe maintenant un certain nombre d'éditions des textes de Qumrân en fac-similé et transcriptions, y compris sur des
bases informatiques ; l'édition de l'American School of Oriental Researche, bien que datant des années cinquante, a l'avantage
de présenter en regard d'excellentes photographies des manuscrits et une transcription en Hébreu carré. Pour consulter le
texte original de 1 QS 4, on pourra donc se reporter à : The Dead Sea Scrolls of St. Mark's Monastery, vol. II, ed. Millar
BURROWS, New-Haven 1951, pl. IV. pour une traduction récente du texte : F. GARCIA MARTINEZ et W.G.E.
WATSON, The dead sea Scrolls Translated, the Qumrân texts in English, Leyde 1994.
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